Une foi qui s’incarne en humanité
L'Aumônerie communautaire, des rencontres qui sont des « chemins de liberté » et qui constituent une manière neuve de « faire la communauté du Christ ».
L’Aumônerie communautaire fait éclater des visions sociales, sacramentelles voire ecclésiales qui structurent nos conceptions de la justice comme de la vie chrétienne. Souvent, par exemple, on considère que justice est faite quand le coupable a subi sa peine. Or, si l’on en croit les témoignages retenus dans l’Itinéraire, il n’en est rien. De retour à la liberté, l’ex-détenu, homme ou femme, peut se trouver tout aussi démuni qu’au moment de son incarcération. Souvent, d’ailleurs, il ne se sentira même pas à l’aise dans une communauté chrétienne où l’on devrait être capable d’accueillir le prodigue. On y continuera de voir en lui le criminel plus que l’humain.
Les artisans communautaires révèlent la complexité de la réalité des ex-détenus et ex-détenues au-delà de la froide perspective légaliste. Il y a là quelqu’un, un homme, une femme. qui se trouve seul et qui a besoin d’être appelé par son nom, accompagné, soutenu. Il y a là, aussi, ces autres personnes, ignorées jusqu’ici du système judiciaire, que sont les victimes. Souvent, elles ont besoin de rencontrer celui qui a provoqué leur désarroi par-delà le cadre rigide du tribunal pour essayer de comprendre. L’échange avec l’agresseur ou quelqu’un qui a commis un tel geste, parfois même l’aveu de sa responsabilité, permettra de partager sur la difficile réalité d’être humain, et ainsi d’avancer dans leur travail de deuil.
L’application la plus stricte et la plus dure de la loi civile comme l’accomplissement canonique du sacrement du pardon n’épuisent pas la gravité de la violence. La justice se doit d’être vraiment réparatrice. Il faut prendre aussi bien soin des victimes que de ceux qui doivent se retrouver des liens humains. Dans le monde de L’Aumônerie communautaire, on ne se laisse pas « enfermer dans les choses », « entre chrétiens », dans un rituel rapide et anonyme avec un ordonné. On est loin de la cérémonie asymétrique où l’on reçoit, plus ou moins passivement, la symbole de la grâce des mains d’un officiel. Il s’agit de se rejoindre dans sa vulnérabilité, de prendre la parole, d’être accueilli par son propre nom, en fait par son prénom. Celui qu’on a connu alors que sa famille existait encore. Et il n’est pas surprenant qu’un laïc, croyant ou non, y prenne le titre de père (abbé), comme ces adultes qui l’ont aidé à renaître à la vie.
Les artisans communautaires reprennent une appellation voisine des béatitudes (qu’on pense aux « artisans de paix »). Des chrétiens qui s’y trouvent proposent un enrichissement de la vision sacramentaire. Certes, on n’y célèbre pas l’eucharistie, d’autant plus qu’on pourrait se sentir mal à l’aise avec certains pratiquants. Cependant, on peut y avoir la conviction que ces rencontres marquées « d’une certaine simplicité, d’un constat d’égalité, d’un « j’ai besoin de toi, tu as besoin de moi » » sont des chemins de liberté et qu’ils constituent une manière de faire « la communauté du Christ », une réalisation du « Corps du Christ ». Quel contraste avec une assemblée dominicale de bien-pensants, satisfaits d’accomplir leur devoir dominical.
En fait, ce type de pratique questionne même l’ecclésiologie, la manière de faire Église. On est loin d’un système hiérarchisé, régi exclusivement par des règles canoniques où prime le jugement et où le sacerdoce royal de chaque personne compte fort peu. L’écart est peut-être moins grand avec les confessions issues de la Réforme, qui ont des communautés moins nombreuses et plus participantes, et il faut espérer que l’influence de François, le nouvel évêque de Rome qui ouvre sur la miséricorde au-delà de la doctrine, aidera à retrouver l’ouverture de Vatican II.
Note : L’opposition entre les vertus mises en valeur par les Artisans communautaires et les pratiques majoritaires ou institutionnelles veut seulement éclairer la réflexion et ne suggère pas de choisir une de deux options. Il s’agit plutôt de voir comment ces projets chargés de spontanéité et de créativité peuvent aussi se transmettre par le biais de la culture et du temps. Mystère d’un Enfant qui finira comme un criminel et qui, par des disciples qui étaient souvent loin de le comprendre, donnera naissance, aux travers des siècles et malgré tant de bêtises, à un mouvement d’humanisation et d’aspiration à la réconciliation. Joyeux Noël!
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Bonjour.
Je réagis à votre article, car il me touche et me rejoint profondément tant par son sens de l’humanité que par sa profondeur en faveur du Galiléen. J’ai eu l’occasion et la chance durant un certain temps d’être solidaire d’un jeune détenu d’orientation affective et sexuelle gaie que je visitais en prison: en médium d’abord, ensuite, en minimum et à la fin, en maison de réinsertion. Il était entré en prison à 18 ans et, lors de ma première visite, on a fêté ses 32 ans. Cette expérience m’a profondément marqué. La fouille, le bruit sec d’une porte de fer qui se ferme, l’incapacité d’être seul avec lui, la nécessité de soumettre à la fouille un livre qu’il m’avait demandé: tout cela m’a fait vivre, en surface évidemment, les émotions d’un détenu. La demande était simple de sa part: pouvez-vous m’aider à réintégrer la communauté gaie sans que je retombe dans la drogue ou dans les mains de celui qu’à 18 ans j’appelais mon père. À sa demande, j’ai rendu visite à son père qui était le propriétaire d’un bar du Village: j’ai trouvé un homme littéralement incapable d’accepter que…
Rebonjour,
Par une erreur technique, je crois que mon courriel est parti… chez vous, j’espère.
Je prends le risque de continuer.
Ce soit-disant père, était incapable d’accepter que cet ancien protégé ait pu se réhabiliter. Il a dit une phrase terrible: ce jeune homme est un vaurien et il le restera toute sa vie. Alors, je suis revenu à la prison. J’ai rapporté les faits sans jugement. Et Luc, c’était son nom, a pu faire son deuil. À la fin de sa réhabilitation, il m’a demandé de le laisser sur la rue, ce que j’ai fait. Il était devenu libre. Et un jour, lors d’un spectacle, je l’ai aperçu à une table, avec un garçon de son âge. J’ai été le saluer. Il m’a présenté son copain avec fierté et il m’a dit: nous demeurons maintenant ensemble dans l’édifice St-Mathieu. Ce jeune homme avait retrouvé la route de la vie, de l’amour, de la dignité personnelle et de la fierté d’être un citoyen à part entière, de se sentir libre. Je ne l’ai plus jamais revu, même si je m’étais attaché à lui (il est vrai qu’entre-temps j’avais formé un nouveau couple et je ne voulais pas que la peur interfère.) Mais, il m’a tant appris et j’ai la conviction profonde que le Christ n’aurait pas agi autrement, car maintenant toutes les conditions sont réunies pour qu’Il le visite. Je m’arrête, car il y aurait tant à dire sur ce sujet.
Pour moi, le témoignage de J. Beausoleil prolonge tellement bien et de façon concrète la magnifique « dernière phrase-synthèse » de l’article de M. Campbell, dont il fait le commentaire. Merci et Joyeux Noël à vous deux!